Entretien avec Nicolas Clair porte-parole de la confédération paysanne

Du marteau à la faucille …

Nous avons tous vu aux informations les mobilisations de paysans que ce soit au salon de l’agriculture de Paris ou bloquant des routes pour réclamer de pouvoir vivre de leur travail. Un monde qui pour certains citadins paraît loin alors qu’ils subissent les mêmes soucis que l’ensemble de la population. Parmi cette mobilisation différents syndicats agricoles qui ne portent pas tous les mêmes revendications nous avons rencontré Nicolas Clair porte- parole de la confédération paysanne syndicale.

 C’est quoi la confédération paysanne ?

« La confédération c’est un syndicat d’entrepreneurs agricoles qui représente entre 20 et 25 % des agriculteurs selon les départements. Les salariés quant à eux ne sont pas  syndiqués dans notre syndicat mais dans les syndicats « classiques » ; pour la CGT la fédération de l’agroalimentaire.

La confédération paysanne a pour but de défendre les intérêts des agriculteurs et leur préoccupation première est bien de vivre dignement de leur métier.

Nous tenons aussi à parler d’agriculture, d’alimentation et d’environnement avec l’ensemble de la société civile et échanger avec les citoyens. Nous n’avons pas peur du débat. Nous sommes prêts à parler en dehors des ministères sur toutes ces questions. Le débat agricole doit devenir un débat citoyen.

Nous, à la confédération paysanne on est un peu en décalage avec nos collègues de la FNSEAD, des Jeunes Agriculteurs (JA) de la Coordination Rurale qui disent « nous sommes des professionnels, nous savons ce que nous faisons, nous travaillons dur. Encouragez- nous et laissez-nous faire ! ».

Peux-tu nous parler du mouvement des agriculteurs ?

« C’est un mouvement qui vient de la base et comme on est un an des élections des chambres d’agriculture, chaque syndicat bombe le torse et en donne une lecture différente : libérale, sociale, poujadiste…

Il y a aussi un parallèle avec le mouvement des gilets jaunes.

C’est un mouvement qui peut avoir raison globalement mais tort dans les détails. Le mouvement des gilets jaunes venait d’une réelle angoisse des zones périphériques, des petites villes, et la peur du déclassement des classes moyennes.

Ce mouvement des agriculteurs illustre l’angoisse profonde d’une profession et qui doit être interprétée sérieusement. Quand on revient sur toutes les revendications chacun en aligne 1 000 mais elles ne sont pas au niveau de l’enjeu général.

Pendant des dizaines d’années la FNSEA et le ministère de l’agriculture nous ont assené un slogan « En matière agricole la France a une vocation exportatrice » et c’est au nom de cette phrase que l’on devait accepter d’aller sur les marchés, que l’on doit aller dans la libre concurrence, signer des accords internationaux de libre circulation.

Parce qu’on avait une vocation exportatrice à la loyale on allait gagner des marchés !

Dans les faits, ça n’a pas été une réussite… Le nombre de paysans s’effondre et aujourd’hui nous entendons beaucoup moins qu’avant cette phrase qui se voit remplacée par « La priorité c’est la souveraineté alimentaire de la France ». Or passer d’un discours à l’autre c’est juste un grand écart !

Aujourd’hui la profession sent que ceux qui gouvernent ne savent pas vraiment où ils veulent aller.

Et lorsque l’on demande au ministre de l’Agriculture ce qu’est la souveraineté alimentaire la réponse est lunaire : « C’est quand on met tout en œuvre au niveau alimentaire pour être souverain sur notre alimentation ». C’est inquiétant !

Aujourd’hui le peu de visibilité de la politique gouvernementale angoisse les professionnels. Cette angoisse augmente avec cette crise agricole et s’illustre par 1 000 revendications

Cela revient à un choix fondamental ; est-ce que l’on choisit la souveraineté alimentaire ou est-ce que l’on choisit d’aller sur les marchés mondiaux pour vendre des millions de tonnes de blé en plus ?

Si l’on veut aller sur ces marchés non mondiaux la question du prix et des volumes produits est fondamentale. On y répond avec plus de pesticides, plus engrais et des travailleurs détachés …

Alors que si nous voulons restaurer la souveraineté alimentaire on doit parler planification des productions. On peut parler de qualité nutritionnelle et environnement, et là il y a tout un débat à avoir.

La difficulté de la politique agricole c’est la libre concurrence totale de l’union européenne qui s’applique à tout le monde, agriculteurs ou non, petits artisans. Tous ceux qui mettent des produits sur le marché. Cette politique nuit à tous, a l’agriculture, comme à l’industrie.

La bonne nouvelle c’est que le budget de la politique agricole commune (PAC) plus les tranches nationales est d’environ 20 milliards d’euros. Avec cette somme-là si on politisait la question de l’agriculture, on pourrait faire des choses différentes.

L’Europe autorise quand même chaque pays à orienter son budget avec une très grande marge de liberté. Ces milliards pourraient être consacrés à renforcer des fermes de taille homogène, à soutenir le maraîchage.

Le maraîchage est organisé sur de petites surfaces c’est pour cette raison qu’actuellement il ne perçoit presque rien de la PAC qui préfère subventionner à l’hectare et au nombre d’animaux.

Nous, à la confédération paysanne nous réclamons de la PAC qu’elle aide les maraichers qui embauchent. Qu’un paysan qui a des salariés soit mieux aider que celui qui n’en a aucun, car c’est souvent un maraîcher qui utilise moins de pesticides, c’est forcément quelqu’un qui ne va pas tout mécaniser et qui ne va pas prendre de levier chimique.

Avec cette vingtaine de milliards de la PAC on pourrait vraiment faire des choses, on a de l’argent pour demander aux paysans de respecter l’environnement.

Aujourd’hui on a une logique de statu quo.

Certains touchent beaucoup trop du fait de l’attribution des subventions à l’hectare (500 € à 800 € l’hectare de prime par an), cela pousse à une logique de rentier, alors que certains petits paysans n’arrivent pas à vivre et ne sont pas aidés !

En 1992 la PAC a été faite pour compenser la baisse du prix des céréales. Les légumes et les fruits ne sont plus soutenus par la PAC.

En 92 cela pouvait s’expliquer mais aujourd’hui en 2023, plus de 30 ans après, pourquoi sommes-nous restés dans cette situation ? »

 Aujourd’hui dans les médias certains agriculteurs demandent l’allégement des normes quelles sont vos revendications à la confédération paysanne ?

« Nous, confédération paysanne nous ne sommes pas anti-normes.

Il y a effectivement une revendication de cohérence de normes au niveau européen. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : Prenons les jachères par exemple. On a vu des reportages à la télé qui montrent un paysan à qui l’on demande de mettre 4 % de sa ferme en jachère pour les abeilles.

Quand on voit ça on se dit le pauvre pourquoi on l’oblige à faire jachère alors qu’il pourrait faire du blé et du maïs.

Il faut savoir que l’immense majorité des paysans en France ne font pas de jachère.

Et que ceux à qui l’on impose les jachères, ce sont les agriculteurs qui ont arraché tous les arbres, les haies et bouché toutes les marres de leur ferme, qui n’ont plus une seule prairie naturelle !

Du point de vue institutionnel un paysan qui a gardé les haies, qui a gardé des arbres, qui a diversifié ses cultures, bref qui n’a pas tout détruit, on ne lui impose pas de jachère parce qu’on estime que la biodiversité qu’assure sa ferme est suffisante (ce qui n’est pas forcément le cas à chaque fois, soyons honnêtes) »

Que pensez-vous des prix planchers ?

« Cela fait partie des bonnes idées en théorie, qui une fois que l’on gratte dans les détails ne sont pas bien faisables.

Car les qualités de produits sont très variables, il y a des variétés différentes, de même pour les calibres, les fraicheurs, les taux de protéine, de matière grasse, d’impureté, la question logistique, les questions de saisonnalité…

Et puis on peut avoir un  prix plancher, mais si personne ne se propose pour acheter votre production… le prix plancher s’applique t’il si je donne mes légumes invendus aux cochons non évidement ? »

Ne pourrait-il pas acheter une partie de la production ?

« La socialisation totale de la production pourrait créer d’autres soucis. Si l’on se dit l’Etat rachète tout à la récolte alors on a l’intérêt de faire du volume et donc de négliger la qualité. L’enjeu est plutôt de contenir la logique de marché dans ses dérives. »

 

Alors quelle serait la solution ?

« Nous confédération paysanne on s’inspire beaucoup de ce qui se fait en Suisse notamment les prix variables à l’import. La Suisse est un pays qui défend beaucoup ses paysans.

Quand les prunes suisses arrivent sur le marché il est interdit d’importer des prunes de l’étranger à des prix inférieurs aux prix suisses. Par contre quand ce n’est pas la saison des prunes suisses, ils laissent rentrer les produits étrangers moins chers car c’est l’intérêt du consommateur. »

 

Et la grande distribution et les intermédiaires ?

« Il faut changer notre façon de consommer, car nous avons pris de mauvaises habitudes.

Il y à 60 ans les gens achetaient au mois de septembre des sacs de pommes de terre non lavées de 25 kg et les laissaient dans leur cave.

Aujourd’hui on achète des sacs de 1 kg de pommes de terre lavées, dans un joli filet plastique avec une belle étiquette, dans une grande surface climatisée, avec du personnel, une infrastructure pour stocker en chambre froide pendant 5 mois.

Le prix de légumes Au champ c’est le tiers du prix du légume qui est vendu à l’intermédiaire et l’écart avec le bio pour la pomme de terre par exemple n’est que 10 centimes le kg !

L’écart de prix énorme que constate le consommateur, c’est l’emballage, la livraison et la marge du vendeur, de l’emballeur, du publicitaire et de la grande surface. »

Alors quelle serait la solution ?

« Il faudrait s’intéresser et se rééduquer à la question de l’alimentation, des produits de saison et réapprendre à faire la cuisine. Bientôt les prolos ne sauront plus cuisiner !

Ce sont les produits que nous consommons et notre manière de les consommer qui conditionnent aussi les prix.

Il faut aussi s’intéresser au gaspillage, aller sur une logique de mutualisation des achats.

Que des citoyens et des travailleurs acceptent de se mettre ensemble pour se poser la question de ce qu’ils vont manger, où ils l’achètent, pourquoi et à quel prix ? »

Émile Zola dans son roman, La terre, un tome des Rougon-Macquart disait « Si le paysan vend bien son blé l’ouvrier mort de faim, si l’ouvrier mange c’est le paysan qui crève ».

Aujourd’hui ni le paysan ni l’ouvrier ne parviennent à vivre correctement de leur travail et il ne tient qu’à nous de travailler à la mobilisation pour que l’ouvrier comme le paysan,  puissent chacun avoir accès aux besoins fondamentaux.

La confédération paysanne insiste sur son site « Aujourd’hui, nous demandons une orientation et des politiques cohérentes pour garder des paysans nombreux, assurer le renouvellement des générations et bâtir notre souveraineté alimentaire dans le contexte de crise climatique et environnementale …  Il s’agit de trouver des solutions concrètes pour tous les paysans, et non accentuer les inégalités au sein du monde agricole. »

La PAC c’est quoi ?

C’est une politique mise en place à l’échelle de l’Union européenne. À l’origine, elle est fondée principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subventionnement. Elle est gérée par la Direction Générale « Agriculture et développement rural » de la Commission européenne.

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